UNE APPROCHE PSYCHO-CORPORELLE
DE L’ECRITURE
par Geneviève MANENT
Formatrice et thérapeute en relaxation
ETUDE DE CAS
PRESENTATION
DE L’ENFANT
Dimitri est âgé de 10 ans. Il suit des séances d’orthophonie
pour de légers problèmes de dysorthographie et il vient en relaxation
parce qu’il est trop crispé. Il écrit très très
mal : c’est presque illisible quand il doit aller relativement vite, par
exemple, pour prendre l’énoncé d’un texte sous la
dictée.
C’est un enfant ouvert, observateur et créatif, vif en classe quand
il s’agit de l’oral et intéressé par ce que je lui
propose, mais légèrement anxieux.
Dès les premières séances, il laisse apparaître une
grande sensibilité et un bon investissement, mais il est peut-êre
un peu trop raisonnable
LE CADRE
La rencontre (prise en charge) se passe sur 12 séances avec quelques
exercices à vivre seul, chez lui ou en classe. Je travaille, en consultation,
comme relaxologue dans un Centre de Pédopsychiatrie (C.H.S.).
L’APPROCHE
L’approche se compose d’un ensemble “d’outils”
à ma disposition :
• Les exercices sensoriels, ouvrent les portes du corps, car la présence
au monde et à soi-même passe par les sens et la conscience avant
d’être pensée et nommée. Ils mettent l’enfant
en contact avec ce qui l’entoure et se qui se passe à l’intérieur
de lui.
La respiration est tout d’abord une invitation à se laisser bercer,
apaiser mais également une dynamique qui fait avancer.
Le graphisme en lien avec les postures et la respiration devient une coulée
d’énergie.
les postures corporelles favorisent la mobilité, la spontanéité
; par elles l’enfant apprend à se servir de son corps selon ses
besoins pour dire qu’il est et pour communiquer librement.
Les sonorités de la voix et de la musique font vibrer les différentes
parties du corps comme des caisses de résonance.
Les auto-massages jouent avec l’enveloppe
corporelle, éliminant les tensions musculaires, et rééquilibrant
la vitalité.
La relaxation propose à l’enfant une véritable rencontre
avec lui-même, son corps senti et intériorisé, ses espaces
imaginaires (visualisation) et la possibilité de prendre du recul.
Les éléments se combinent selon l’évolution des rencontres,
chaque rendez-vous avec l’enfant étant une création originale
(1).
La finalité de ce travail n’est pas de rééduquer
Dimitri pour qu’il “écrive bien” ; c’est simplement
un des objectifs, un résultat qui sera atteint naturellement, parce que
l’expérience de relaxation psycho-corporelle lui apprendra à
utiliser toutes ses potentialités, à redevenir lui-même
; autrement dit, à ouvrir des portes qui s’étaient fermées
ou à retrouver des clés. Par son attitude crispée et figée,
il s’est coupé d’une part essentielle de lui-même ;
la relaxation le relie à sa propre expérience.
Dimitri est spécialement bloqué au niveau des épaules,
bras et mains mais une observation plus fine l’amène à découvrir
des tensions dans les pieds, et les orteils lorsqu’il écrit.
1ère étape
Lors des premières rencontres, chacun observe l’autre et l’enfant
exerce une réceptivité nouvelle. Dimitri repère que ses
épaule se “déplient” lorsqu’il joue avec son
chien. En relaxation, j’utilise cette image de jouer avec son chien pour
amener une détente naturelle de ses épaules. Ayant intériorisé
cette expérience, il la revivra chaque fois qu’il le souhaitera
ou qu’il en aura besoin.
> Par l’auto-observation des manifestations
de son corps et des symptômes dans sa vie quotidienne, Dimitri commence
à s’approprier les moyens d’y remédier et à
prendre du recul par rapport à sa difficulté : il devient ainsi
acteur de sa prise en charge.
Au départ, il ne s’agit pas de chercher à modifier quoique
ce soit mais à sentir
“Je propose à l’enfant de sentir ce qui se passe en lui
: quand il marche, quand il se couche, quand il court, quand il est au repos.
Tu sens en toi l’énergie : c’est comme l’électricité
qui fait fonctionner un moteur et tu vas apprendre à l’utiliser,
le canaliser, la rassembler, la faire jaillir, l’économiser...
Pour commencer, tu la découvres et tu sens sous quelle forme elle se
manifeste ; c’est un peu comme l’eau qui peut être un ruisseau
qui coule, de la pluie qui tombe, de la vapeur qui monte, de la glace qui se
fige, un lac calme et immobile, une cascade bruyante et pleine de force ou un
torrent... Observe ton énergie et sens ce qui te fait fonctionner...”
(2)
> Dimitri respire seulement avec son ventre, il ne sent absolument pas sa
respiration thoracique (serré par l’angoisse et l’anxiété)
et il a tendance à bloquer son expiration pendant qu’il écrit.
2ème étape
> Des moyens sont proposés et expérimentés afin de choisir
les mieux adaptés : un peu comme une boîte à outils dont
l’enfant apprend à se servir. Les outils agissent à court
et long terme. L’écriture étant considérée
comme une coulée d’énergie, si l’énergie du
corps est bloquée, l’écriture se fait plus difficilement
: elle suit l’état vibratoire, un peu comme la musique qui peut
être fluide, saccadée, rythmée, lente, rapide etc.... Le
travail sur le corps (détente), la respiration (fluidité) et la
relaxation (diminution de l’anxiété) ont une action globale
et durable ; localement des massages de détente des mains, le relâchement
du dos et les graphismes arrondis en lien avec la respiration sont efficaces
très rapidement et réutilisable par l’enfant chaque fois
qu’il en éprouve le besoin. Dimitri aime spécialement dessiner
les yeux fermés sur des musiques de rythmes différents (les deux
mains ensembles ou séparément), il retrouve ainsi le plaisir de
tenir un crayon, et de la souplesse dans le graphisme.
3ème étape
L’enfant s’approprie les exercices qui lui conviennent et progressivement
il peut les refaire tels quels, selon ses besoins au quotidien, mais également
les modifier et en découvrir d’autres et en inventer. Ce travail
le relie à tout un potentiel inexploité en lui (ses richesses
intérieures) et, peu à peu, il n’aura plus besoin d’un
adulte pour faire face à sa difficulté. Quelques phrases en fin
de relaxation favorise cette autonomie. Par exemple : “ton corps est heureux
d’être écouté, senti et il te signale où tu
dois porter ton attention” ou encore “tu sais maintenant que tu
as en toi un espace de détente que tu peux retrouver chaque fois que
tu le désires”.. Pour détendre ses pieds, Dimitri les masse
ou les met dans l’eau (concret et palpable) ou, alors, il imagine qu’ils
sont légers comme des ballons de baudruche mais surtout ses pieds sont
légers et détendus quand ils dansent sur les pédales d’un
camion américain qu’il rêve de conduire (imaginaire) !
ANALYSE DE LA PRISE EN CHARGE
Dimitri a du mal à dissocier les différentes parties du corps,
il a tendance à être tout d’un bloc (par exemple, il tourne
le buste en même temps que la tête et bloque son cou) et lors des
postures corporelles, ses pieds se soulèvent comme pour accompagner le
mouvement.
Les postures proposées tiennent compte de cette tendance, elles le respectent
puis elles iront progressivement vers la dissociation. Il a tout d’abord
besoin d’être en sécurité, reconnu pour ce qu’il
est, ce qu’il sent (des respirations abdominales) ensuite par un mouvement
général de relâchement, comme une vague se libère,
la respiration thoracique s’épanouira.
Dès les premières séances de relaxation avec mobilisations
passives, Dimitri montre une grande réceptivité sensorielle. Il
sent, par exemple, son côté droit lourd et chaud alors que le gauche
est léger et froid. En développant son ressenti, il aura plus
rapidement conscience des crispations lorsqu’il écrit et il pourra
y remédier plus aisément .
Son écriture est très saccadée : cette crispation peut
venir également d’une trop grande concentration et d’une
difficulté à se déconcentrer. Des exercices de “concentration
et déconcentration” sur le corps d’abord, sur les graphismes
ensuite, des relaxations à base de respiration dans les membres amèneront
une amélioration dans le mouvement général qui deviendra
plus souple et influencera une écriture plus reliée.
Il apparaît, petit à petit, qu’un grand poids pèse
sur Dimitri. Il “doit” écrire bien et être bon en classe
sous peine de décevoir ses parents ; l’écrit, la dimension
littéraire, a une grande importance pour eux. Pour réussir, Dimitri
a tellement investi que des blocages se sont installés dans son corps.
Pour s’appliquer et bien faire, il se crispe, ce qui accentue sa lenteur.
La relaxation et le massage (auto-massage et massage par sa mère notamment)
ont été comme une “bouffée d’air” ; progressivement,
il dit que ses membres deviennent “frais et légers” au lieu
d’être lourds et crispés. Il fait régulièrement
du do-in, pour se réveiller et intègre bien la conscience tension/relâchement.
Il pourra lâcher le désir de sa mère (s’habille de
la couleur qu’elle aime, veut lui faire plaisir) et oser, grâce
à la relaxation, exprimer ses désirs propres et repréciser
ses besoins personnels (à travers une relaxation où il se transforme
en Robin des Bois et sauvera le château et les enfants prisonniers). Il
pourra jouer avec les lettres et les chiffres qu’il aime et ceux qu’il
n’aime pas. Lorsqu’il sentira davantage son corps, il dira “c’est
comme des vibrations agréables qui bougent dedans” ce qui correspond
à la conscience de l’énergie dans le corps.
Il peut paraître surprenant de trouver une écriture hachée,
morcelée avec un corps bloqué, non dissocié mais en réalité
ce sont deux aspects d’un manque de fluidité, d’une circulation
non aisée du mouvement, une vitalité qui ne s’exprime pas
librement. La musique et chant seront porteurs d’évolution. Par
exemple, en visualisation non guidée sur une musique, il libérera
ses gestes en devenant “chef d’orchestre d’animaux”!
CONCLUSION
Dimitri a appris à écouter et sentir son corps. Il a retrouvé
progressivement confiance en lui.
En relaxation, j’offre en l’enfant des espaces d’expérience
qui le remettent en contact avec lui-même : j’accompagne son cheminement
et je l’aide à nommer ce qui se passe, à repérer
ses forces, à accéder à une véritable connaissance.
Au-delà de l’objectif de mieux écrire, Dimitri a gagné
en estime de lui-même (et ses parents également) et progressé
sur le chemin de l’autonomie, ce qui est le but ultime de notre rencontre.
_____________
(1) Les exercices sont décrits dans les ouvrages de Geneviève MANENT spécialement dans l’Enfant et la Relaxation et La relaxation pour ensoleiller le quotidien - Ed. du Souffle d’Or Retour au texte
(2) Extrait de l’Enfant et la Relaxation de Geneviève MANENT - Ed. du Souffle d’Or Retour au texte